Édito
Quand on est dans la tempête, on se ravive en s’imaginant dans celle proposée par Shakespeare. On se prépare au naufrage en pensant à ce qu’on pourra inventer sur la plage avec une malle et quelques accessoires.
Les compagnies présentes cette saison ont en elles cette mission, et se font un plaisir de vous présenter leurs rêves, leurs interrogations, leurs dérives, leurs espoirs. Vous ne les avez jamais quittées. Vous avez toujours été là pour elles.
Elles seront là pour vous.
Elles aiment à vous imaginer découvrant la programmation.
Il y a un sujet. Ou alors il n’y en a pas. Il y a juste une idée ou une impression. Un déclenchement. Cela suffit parfois. Ce n’est pas anecdotique en tout cas.
Nous vivons les mêmes choses. Nous nous dirigeons toujours, au-delà des joies et des peines de nos vies, vers ce temps accordé.
Ce plaisir de s’accorder cette pensée : « On ne sait plus trop qui est devant qui ».
Lars Norén, dramaturge suédois disparu pendant la Covid, a dit que, artiste, il se sentait différent, jusqu’à ce qu’il se rende compte qu’il était comme tout le monde.
La spectatrice au deuxième rang, c’est peut-être l’inverse. Elle pensait qu’elle était comme tout le monde et, entourée d’inconnu.es, elle s’est sentie différente pour la première fois.
Ici on pense à la personne immobilisée autant qu’à celle en mouvement. Perdue autant que celle pétrie de certitude.
Et le spectacle se fait.
De silence, d’un rare lieu où le silence reste palpable, visible, et aussi, et ce n’est pas rien, possible.
Il se fait aussi de langage, qui est peut-être plus menacé aujourd’hui que le silence, allez savoir. Quand on s’habitue à prendre un mot pour un autre. Une vérité pour une fausseté. Jusqu’à nous faire perdre prise. Rassurez-vous, ici les mots regagnent leur légitimité première. La complexité. Un mot n’est pas remplacé par un autre. Il veut simplement dire plusieurs choses. Ou en cacher d’autres.
Et il y a le geste. Ici, ce qui relie chaque geste, c’est que les compagnies, en bonne compagnie, ne se sont pas arrêtées à leur certitude première. Elles s’en sont vite lassées. On ne peut pas travailler le spectacle vivant en restant figé.
Ici, on relie, on connecte des câbles, on crée du sens, du va-et-vient et de la fusion. De la dentelle normande jusqu’aux yeux épuisés d’un orfèvre quelque part en Inde. Des brimades reçues dans la croyance en l’effort d’un athlète jusqu’à sa stigmatisation par sa sexualité.
Multipliez ces fables par le nombre de spectacles proposés, multipliez-les ensuite par le nombre de lieux qui vibrent aujourd’hui malgré un désengagement des financements constaté et vécu par toutes et tous (rappelons encore et encore que les subventions sont là pour rendre votre place accessible), vous aurez une idée du foisonnement inouï des gestes transcendés qui existent en France, grâce à vous, grâce en notre croyance commune et inéluctable en ce service public.
Ces gestes que l’on se passe ici comme des relais, nous, compagnies, en tendant le bâton à celui déjà lancé dans sa propre course, pour déjouer, démonter, mettre à nu, les narrations toxiques.
Cela a peut-être à voir avec la politique. Cela a à voir avec l’humanité, sans aucun doute.
Cela a surtout à voir avec la beauté de la saison ici proposée.
Gérard Watkins
auteur, metteur en scène, comédien, musicien